dimanche 12 février 2017

Anne-Sophie Hahn

Devant le drame des migrants, refuser le silence

Face au drame des migrants, à quoi bon crier dans le désert ?, demande la pasteure Anne-Sophie Hahn
Vendredi 27 janvier, à l’appel de l’association « La Vie Nouvelle », des voix se sont élevées face au
drame des migrants qui meurent en Méditerranée. Plusieurs personnalités ont partagé leur prise de

position : responsables religieux, théologiens et universitaires (Marion Muller-Colard, François-

Xavier Cuche), acteurs de la vie politique et civile (Nicolas Hulot, Roland Ries, Geneviève Jacques,

Georges Federmann), artistes, ont souhaité s’associer à cette initiative. Des comédiens ont prêté

leur voix, ce soir-là, pour faire retentir tous ces cris. Angela Merkel elle-même a adressé un mot de

soutien.

Sur leur blog (lecridestrasbourg.blogspot.fr), l’événement était annoncé comme suit : « Le drame

des migrants, morts et abandonnés en Méditerranée, pourrait être la situation la plus inhumaine de

notre siècle, la barbarie du XXIe siècle ! Et pourtant, le silence est assourdissant… Nous

souhaiterions que, depuis Strasbourg, capitale de l’Europe démocratique, des appels fusent, des voix

clament ce drame, crient le refus du silence. » Pour reprendre la veine évangélique, que des voix

crient dans le désert, en somme…

Une telle initiative pourrait sembler dérisoire, et futile, face à l’insoutenable réalité. Car que sont

quelques mots, dits, écrits, face aux dizaines de milliers de désespérés qui se noient sur les rives de

notre continent dans l’indifférence générale ?

À quoi peut bien servir de crier dans le désert ?

Citoyens et prophètes

D’autres l’ont fait, il y a bien longtemps, sans se poser la question de l’utilité de leur cri. C’était

quelque chose de bien plus grand qu’eux. Ils ne pouvaient pas ne pas crier. Ils avaient une parole à

dire, à faire entendre.

Aujourd’hui, des citoyens se font prophètes, et ressentent cette même nécessité de ne plus se taire.

Dans les évangiles, « crier dans le désert » ne signifie pas nécessairement hurler sans que personne

n’entende. Le désert, c’est aussi celui du silence, de l’indifférence.

Face à ces murs symboliques, mais aussi face à tous les murs bien réels qui s’élèvent entre les

humains, il faut bien que des voix s’élèvent. Il faut bien que les « puissants » entendent les voix des

« misérables ».

Car sinon, l’humanité prend le risque de s’accoutumer à l’horreur et à la violence. Et que dironsnous,

un jour, aux générations qui s’interrogeront et, peut-être, nous interpelleront sur cette

tragédie faite de guerre, de fuite désespérée, d’appels au secours, de noyades, de portes fermées,

d’asile refusé ?

Face aux discours qui parlent de danger et de menace, de sécurité et de protection, de préférence

nationale et de suspicion des étrangers, il est nécessaire que des voix s’élèvent pour crier «

humanité » et « accueil ».

Si autrefois, la parole des prophètes s’adressait aux exilés, aujourd’hui le cri prophétique s’adresse

aux dirigeants et à tous les citoyens de nos pays occidentaux.

Pour interpeller, sans relâche. Jusqu’à ce que des barrières et des murs tombent, enfin.

Mais ce n’est pas là sa seule fonction et sa seule utilité. Le cri prophétique permet aussi de

rassembler en une communauté visible et solidaire toutes celles et tous ceux qui s’y rallient, et qui

croyaient être seuls à s’indigner. Et, ce faisant, il est aussi source d’espérance.

Nous sommes démunis, mais nous ne sommes pas seuls. Et nous ne sommes pas si peu nombreux

que nous le craignons. Il est bon de nous en souvenir, ou de le réaliser. Il est bon de sentir la chaleur

humaine, la solidarité, la fraternité derrière ce cri.

Alors oui, que des voix s’élèvent. Qu’elles soient bientôt rejointes par de nombreuses autres voix,

pour faire retentir le cri assourdissant de l’humanité qui refuse de se séparer d’une partie d’ellemême.

Bien plus qu’utile, c’est un cri nécessaire, vital